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Le chiapas : contexte politique et revendications

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La fin de mon voyage approche et la situation du Chiapas et du Mexique me parait de plus en plus complexe. Je ne prétend pas tout comprendre mais au fil des rencontres, au fil des jours et des nouvelles unes des journaux (la presse écrite est beaucoup plus indépendante que la télévisuelle), au fil des manifestations ; je me fais une idée.

Cet article est de loin le plus complet et correspond aux témoignages entendus et à ce que j’ai vu du Chiapas. Il évoque les problèmes économiques, démografiques, religieux et politiques de cet état.

Source internet : site de la Documentation Française

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/chiapas/crise.shtml

Aux sources de la crise chiapanèque

Extrait de « Mexique : le révélateur chiapanèque » par Henri Favre in Problèmes d’Amérique latine, n°25, avril-juin 1997, pp. 5-12 (épuisé)

« Au Chiapas, 30 % de la population est analphabète et plus de 80 % n’a pas accès au système de santé ; 19 % des actifs sont sans ressources et 40 % disposent d’un revenu inférieur au salaire minimum ; 29 % des enfants échappent à la scolarisation obligatoire, 35 % des agglomérations ne possèdent pas l’électricité, trois logements sur cinq n’ont pas l’eau courante. D’autres indices de pauvreté, tous bien supérieurs à la moyenne nationale, pourraient prolonger cette énumération.

Pourtant, l’image d’un Chiapas endormi dans le passé et resté à l’écart de la vie moderne ne correspond pas à la réalité. Si la Révolution s’est longtemps arrêtée aux limites de l’État par suite d’un accord conclu entre le président Obregón et les groupes conservateurs locaux en 1920, elle y est finalement arrivée et elle y a fait son oeuvre. La réforme agraire, timidement amorcée sous la présidence de Lázaro Cárdenas aux dépens des plantations de café de la Sierra Madre du Sud, a été relancée dans les années 1960. Elle s’accélère par la suite, liquidant le grand domaine et touchant même la moyenne propriété. Les terres privativement accaparées s’amenuisent au bénéfice d’une paysannerie organisée en ejidos. Dans le municipe d’Ocosingo par exemple, dont une partie est comprise dans le territoire néo-zapatiste, les superficies détenues par les ejidatarios, qui représentaient à peine 11 295 hectares en 1950, totalisent 1026 756 hectares dès 1970 . Les transferts fonciers ne compromettent pas la production agricole brute. En même temps qu’ils s’opèrent, la culture du café dans le cadre de petites exploitations familiales s’étend dans la région septentrionale, tandis que l’élevage bovin se développe.

A partir de la fin des années 1960, le gouvernement fédéral réalise de grands investissements dans l’infrastructure routière et dans l’aménagement hydroélectrique de la moyenne vallée du Grijalva. Au début de la décennie suivante, l’entreprise publique PEMEX prend le relais en investissant dans la prospection et l’exploitation des hydrocarbures au nord et à l’est de l’État. En 1994, le Chiapas produit 55 % de l’électricité que le Mexique consomme, et il est devenu l’un des premiers États pétroliers de la Fédération. Mais, à la même date, près de 40 % des foyers chiapanèques ne sont toujours pas raccordés au réseau électrique.

Ces investissements massifs confortent l’économie du Chiapas dans la vocation exportatrice que lui donnaient déjà l’élevage et la caféiculture, mais ils ne la développent pas, et c’est en vain que la population en attend des retombées. Si la création du réseau routier favorise l’essor du tourisme et des services qui lui sont liés, la production d’électricité et l’exploitation du pétrole ne dynamisent pas l’activité locale. Elles n’ont pas d’effet d’entraînement sur le secteur industriel, qui continue d’occuper moins de 6 % de la population d’âge actif et qui demeure constitué de petites entreprises employant pour la plupart moins de cinq salariés. Elles n’ont pas davantage d’incidence directe ou indirecte sur l’emploi, dont l’offre stagne à un moment où la demande de travail augmente en conséquence de l’exubérance de la démographie.

En effet, le Chiapas, qui avait 1,2 million d’habitants en 1960, compte une population de 3,2 millions en 1990. Le taux annuel de croissance de la population, qui était de 2,2 % à la première de ces dates, s’élève à 3,6 à la seconde, alors que le taux de croissance de l’ensemble de la population du Mexique décélère et régresse à 2,6 %. Autour de San Cristóbal, dans les hautes terres peuplées par les Tzotzils et les Tzeltals, les densités atteignent ou dépassent 100 habitants au km2. Sous la pression démographique, les vieilles structures communautaires craquent, les terroirs surexploités s’épuisent, les rendements agricoles baissent. En nombre croissant, les paysans quittent la sphère de l’économie de subsistance qui ne parvient plus à les contenir. Certains vont chercher un moyen de survie dans les agglomérations urbaines, qui commencent à s’entourer de bidonvilles. D’autres abandonnent leurs communautés ou leurs ejidos une fois le champ récolté, pour se répandre dans l’État en quête d’activités précaires qui les occuperont pendant quelques semaines ou quelques mois. La décomposition de la paysannerie engendre une population flottante, en perpétuel déplacement d’un lieu à un autre, qui n’est plus tout à fait rurale mais qui ne peut s’urbaniser vraiment, et que le chômage plus ou moins déguisé mais en fait permanent prive d’identité sociale et condamne à vivre dans une totale insécurité. La croissance de cette population surnuméraire modifie profondément la configuration de la société chiapanèque, à l’intérieur de laquelle les barrières qui séparaient les ladinos des Indiens tendent à s’estomper et les rapports sociaux, à acquérir une plus grande fluidité.

La pression démographique a pour autre conséquence de multiplier un peu partout les conflits : entre éleveurs et cultivateurs, entre propriétaires et paysans, entre communiers et ejidatarios, entre ejidos dont les limites se recoupent et les terres se chevauchent. Les plaignants, qui en appellent volontiers à l’opinion publique, se rendent en cortège dans les villes et vont planter des banderoles sous les fenêtres des autorités. Des litiges traînant depuis des lustres devant les tribunaux prennent une acuité soudaine et se règlent de plus en plus fréquemment par l’invasion de la parcelle contestée et l’éviction de ses occupants, au prix de quelques morts ou blessés. Le recours à la violence pour leur donner une solution suscite des réactions d’autodéfense et conduit parfois à la formation de milices. Cependant, comme chaque conflit s’organise en général autour d’un enjeu aussi précis que limité et qu’il déborde rarement de son cadre, la violence s’éparpille en petits foyers autonomes qui ne risquent guère de provoquer un grand incendie.

Le schisme religieux vient introduire de nouveaux clivages dans cette société qui se délite et accuser le caractère conflictuel qu’elle revêt. Implanté au Chiapas vers 1920 par l’Église presbytérienne, conforté par l’arrivée de l’Institut linguistique d’été une vingtaine d’années plus tard, le protestantisme provoque, à partir des années 1960, un mouvement de conversions d’une telle ampleur qu’en 1990 près de 30 % des Chiapanèques se déclareront « évangélistes » au recenseur. En fait, ce mouvement ne bénéficie guère aux Eglises protestantes proprement dites. Il profite pour l’essentiel à un pullulement de sectes, en majorité d’inspiration protestante, dont la plupart ont leur centre aux Etats-Unis. Pentecôtisme, adventisme, Assemblée de Dieu, Nouvelle Rénovation dans le Christ, Colonne du Dieu Vivant, Lumière du Monde, Témoins de Jéhovah, Église apostolique, Église du Dieu de la Prophétie et autres, font aisément des adeptes dans la masse des individus déracinés, atomisés et précarisés. A tous ceux qui sont sortis du monde paysan traditionnel pour se retrouver socialement en transit vers nulle part, les sectes offrent des repères et une nouvelle espérance ; entre eux, surtout, elles rétablissent un lien social.

L’Église catholique, qui perd son monopole religieux, répond tardivement à la concurrence qui lui est faite. La réponse vient, cependant, à la fin des années 1960, dans le diocèse de San Cristóbal tout au moins. Elle est donnée par Samuel Ruiz García, évêque réputé, non sans raisons, conservateur. A la suite de la Conférence de l’épiscopat latino-américain qui a lieu à Medellín en 1968, Samuel Ruiz décide de mettre prudemment en ouvre la politique d’ « inculturation de la foi » que le concile du Vatican a définie et qui doit permettre à chaque collectivité culturelle de s’approprier le message évangélique. Le concours du clergé local ne lui étant pas acquis a priori, il s’appuie sur des missionnaires étrangers et sur des ordres religieux comme les maristes, les jésuites établis à Bachajón, et les dominicains installés à Ocosingo. Plutôt que d’enseigner le dogme du haut de la chaire, ces prêtres accompagnent la population dans sa découverte de la parole divine. Parmi les Indiens – qui sont ciblés en priorité -, ils préparent des catéchistes, puis des diacres, qui se transforment vite en nouvelles élites religieuses, mais aussi sociales et politiques, à l’intérieur de leurs communautés. La méthodologie de la catéchèse qu’ils appliquent les amène peu à peu à s’identifier à leurs ouailles, à partager leurs problèmes quotidiens et à en chercher la solution. Cette démarche, au cours de laquelle nombre d’entre eux quitteront l’habit sans nécessairement abandonner le Chiapas ni sortir du giron de l’Église, les porte naturellement à la rencontre de la théologie de la libération.

La réponse catholique au défi protestant, et surtout les voies qu’elle emprunte, sont mal acceptées par l’opinion conservatrice. Elles sont ouvertement contestées par les Indiens attachés à la coutume et au catholicisme tridentin qui en est partie intégrante, comme par les autorités coutumières dont diacres et catéchistes menacent le pouvoir. A partir de 1974, à Chamula d’abord, à Mitontic et à Zinacantán ensuite, les tensions entre catholiques traditionnels et néo-catholiques, qui dissimulent mal des conflits d’intérêt, débouchent sur des expulsions périodiques de dissidents religieux parmi lesquels figurent d’ailleurs beaucoup de protestants. En tout, près de30 000 personnes, qui ont dû abandonner terres, bétail et maison, vont grossir les bidonvilles de San Cristóbal. Au soutien que l’évêché leur apporte, les autorités de Chamula répondent en interdisant l’accès de la communauté au clergé diocésain et en s’affiliant à l’Église intégriste fondée à Tuxtla-Gutiérrez par un prêtre qui n’a pas accepté les réformes du dernier concile.

La situation trouble qui s’instaure au Chiapas est propice à toutes sortes d’entreprises politiques. Dès le milieu des années 1970, le Parti socialiste des travailleurs (PST), proche du président Echeverria, trouve un appui dans l’entourage du gouverneur et utilise l’infrastructure de l’Institut mexicain du café (INMECAFE) pour s’implanter dans la région caféicole septentrionale. Le Parti communiste mexicain (PCM), qui se mue en Parti socialiste unifié du Mexique (PSUM) en 1981, puis en Parti mexicain socialiste (PMS) en 1987, avant de devenir l’une des composantes du Parti de la révolution démocratique (PRD), accomplit dans d’autres régions un travail plus discret mais plus soutenu. En revanche, le Parti mexicain des travailleurs (PMT), d’orientation nationaliste et socialisante, et le Parti révolutionnaire des travailleurs (PRT), de stricte obédience trotskiste, obtiennent des succès modestes et ponctuels. Tandis que le PST, le PCM, le PMT et même le PRT refusent la voie de la violence, d’autres formations qui leur font concurrence n’attendent le triomphe du socialisme que de la lutte armée à laquelle elles se préparent clandestinement. Ces formations, comme les Forces de libération nationale (FLN), l’Union du peuple (UP), Ligne prolétarienne (LP) ou Politique populaire (PP), se réfèrent souvent à l’exemple castriste, peut-être par nécessité stratégique, mais la plupart d’entre elles puisent leur inspiration dans le maoïsme.

Ces partis, qui cherchent à s’ouvrir un espace politique sur la gauche du PRI, s’efforcent d’élargir leur assise sociale et territoriale au moyen d’organisations de type syndical qu’ils engendrent, contrôlent ou infiltrent. Dès la fin des années 1970, le PCM établit au Chiapas la Centrale indépendante des ouvriers agricoles et des paysans (CIOAC). A la même époque, l’UP construit les premiers niveaux de l’Union des unions d’ejidos et groupes paysans que Politique populaire, puis Ligne prolétarienne, animent en sous-main jusqu’en 1982, tandis que les FLN créent l’Alliance nationale paysanne indépendante Emiliano Zapata (ANCIEZ) après avoir perdu leur position dans l’Association rurale d’intérêt collectif (ARIC).

Des associations qui se livrent à diverses expériences de conscientisation populaire, de promotion culturelle ou de développement autogéré collaborent souvent avec les partis dans le montage institutionnel des organisations syndicales. Beaucoup de ces centres de bricolage social, comme Slop, Chiltak, Développement économique et social des Mexicains indigènes (DESMI) ou l’Institut d’assistance anthropologique pour la région maya (INAREMAC), qui sont dirigés par des prêtres ou d’anciens prêtres, évoluent dans la mouvance de l’évêché de San Cristóbal. Ils fournissent parfois aux entrepreneurs politiques une aide financière, ils leur apportent plus fréquemment un soutien logistique, mais surtout ils leur offrent une couverture humanitaire ou scientifique qui est fort appréciée par les partisans de l’action clandestine, et qui se révélera d’ailleurs efficace. En eux se côtoient curés défroqués qui se recyclent dans l’agit-prop, assistants sociaux reconvertis dans la manipulation des masses, et révolutionnaires professionnels déguisés en anthropologues ou en historiens.

La première caractéristique que partagent ces partis, organisations et associations vient de ce que leur établissement au Chiapas résulte rarement d’initiatives locales qui témoigneraient d’une tentative de prise en charge de la population par elle-même. Ils sont le fruit du labeur d’agents venus en mission d’au-delà des limites de l’État, et parfois de fort loin. Les entrepreneurs politiques procèdent de Mexico et d’autres villes du nord et du centre du Mexique, d’Amérique comme Monterrey, Puebla, Chihuahua ou Torreón. Quant aux animateurs des structures associatives dans lesquelles ils peuvent trouver refuge, ce sont pour la plupart des Européens ou des Nord-Américains.

La seconde caractéristique qui leur est commune tient à ce qu’ils se disputent avec âpreté une clientèle souvent rétive, dont les objectifs, les stratégies et les tactiques ne correspondent pas toujours à ceux que de petits états-majors parachutés prétendent lui imposer. La concentration de la prise de décision au sommet tend à démobiliser la base qu’ils se sont difficilement constituée, ou à provoquer le reflux des militants vers des formations rivales où ils trouveront d’ailleurs la même pratique du centralisme et du verticalisme. Toutefois, certaines formations, pour la plupart maoïstes, se mettent à l’écoute de la population dans l’intention de mieux la pénétrer, et elles s’attachent à répondre aux attentes qu’elle manifeste. Elles prennent alors le risque de se perdre dans la recherche permanente de solutions immédiates à caractère palliatif, et de choir, depuis les positions révolutionnaires sur lesquelles elles campaient à l’origine, dans un réformisme qui les amène parfois à des compromis, voire à des compromissions, avec le pouvoir en place. L’union d’une gauche groupusculaire et vibrionnante qui n’échappe au péril du sectarisme que pour succomber au danger de la récupération ne cesse d’être hautement proclamée nécessaire. Pourtant, les raisons d’ordre purement circonstanciel pour lesquelles elle s’effectue la rendent toujours éphémère. Bâties en trompe-l’oil, les façades unitaires, tel le Front des organisations sociales du Chiapas (FOSCH), volent en éclats dès qu’il s’agit de passer à l’action, comme si l’immobilisme était la condition de leur survie.

Cette opposition constitue une énorme caisse de résonance, mais elle ne réussit pas à transformer en mouvement social l’agitation devenue endémique dont elle amplifie puissamment l’écho. Elle n’arrive pas à articuler durablement autour d’un front stable des conflits qui continuent à se multiplier et à s’émietter. Si l’hégémonie priiste s’effondre, elle ne sait en tirer avantage, ni ne peut s’en attribuer légitimement le mérite. Car le PRI, contesté mais jamais sérieusement menacé de l’extérieur, entre en décomposition. A partir de 1982, il perd sa capacité de concilier les intérêts concurrents et d’imposer ses arbitrages. Il se laisse identifier aux groupes dominants de l’État, bien que certains d’entre eux commencent à l’abandonner. Ses centrales syndicales étalent leurs différends. La Confédération des travailleurs mexicains (CTM),la Confédération nationale paysanne (CNC) et surtout le syndicat de l’Éducation sont déchirés par des tensions nées de l’affirmation de tendances « avant-gardistes » ou « démocratiques  » en leur sein. Même la lourde machine électorale se délabre. En 1993, de l’aveu du secrétaire général de la fédération chiapanèque du PRI, 57 % des comités municipaux du parti n’ont plus d’activité, parfois depuis plusieurs années, et 10 % seulement de ses sections fonctionnent normalement. En conséquence, là où l’émeute plus ou moins spontanée s’empare des mairies et où les émeutiers chassent les maires qui ont cessé de plaire, le pouvoir local ne se relève plus. Au début de 1994, 23 des 112 municipalités du Chiapas (soit 20,5 %, c’est-à-dire plus d’une sur cinq), dont les autorités ont été victimes de « fureurs populaires » au cours des deux années précédentes, sont en état d’acéphalie. Le monopole de l’encadrement social et politique que détenait traditionnellement le parti de l’État a disparu, et cet encadrement n’est plus que très partiellement et très imparfaitement assuré.

Face à l’entropie qui se généralise, le pouvoir prend des mesures de diverse nature dans lesquelles on peut discerner les jalons de trois politiques mises parallèlement en ouvre. Certaines de ces mesures trahissent une politique d’endiguement ethnique. Elles concernent la région indigène des hautes terres, qui est à la fois la plus pauvre et la plus densément peuplée, et qui est celle d’où provient le plus grand nombre des migrants en perpétuelle quête d’un introuvable emploi. Dans cette région qu’elles perçoivent comme potentiellement explosif, les autorités cherchent à désamorcer les conflits en organisant le repli de la présence ladina et en procédant à la liquidation des intérêts que les Blancs et les métis y possèdent encore. A Larraínzar en 1974, à Pantelhó, Sitalá et Chilón en 1980, à Bochil et à Simojovel dans le cadre d’un Plan de réhabilitation agraire en 1984, le gouvernement de l’État rachète terres et maisons des ladinos, auxquels il a fait savoir que la sécurité de leur personne et de leurs biens ne pouvait plus être garantie, et il les redistribue entre les Indiens qui les revendiquaient. L’achèvement de la réforme agraire par des moyens aussi expéditifs et d’une légalité aussi douteuse vide la région de ses derniers éléments non indiens pour la convertir en une sorte de réserve indigène aux limites de laquelle la loi nationale cesse en fait de s’appliquer. Les vieilles pratiques de l’indigénisme intégrateur et assimilationniste sont abandonnées. Une station de radio publique, qui émet dans les principales langues vernaculaires, s’emploie à revaloriser la culture tzotzil et tzeltal. Les instituteurs indiens, dont le nombre croît fortement, étendent le réseau d’éducation bilingue et biculturelle. Enfin, des « hommes forts », liés au PRI et fermement soutenus par tous les gouverneurs successifs, s’érigent en définiteurs de la coutume, qu’ils manipulent pour faire régner l’ordre à l’intérieur des communautés, tout en y poussant leurs propres intérêts économiques. Cette politique de gestion de l’indianité, qui entend fixer, semble-t-il, la population indigène sur les hautes terres en la congelant dans la tradition, a toutefois des effets pervers : les nouveaux « chefs coutumiers » expulsent hors de la réserve ceux qui, refusant par milliers l’assujettissement aux normes culturelles anciennes, ne se laissent pas traditionaliser.

D’autres mesures s’inscrivent dans une franche politique de répression. Elles se durcissent à partir du début des années 1980, quand les réfugiés guatémaltèques chassés par la guerre civile commencent à affluer et qu’une extension au Chiapas des hostilités centraméricaines peut être redoutée. La police locale accroît le nombre de ses effectifs, tandis que l’armée fédérale renforce son dispositif en hommes et en matériel, notamment au pourtour des hautes terres et dans les régions frontalières, qui sont soumises à une étroite surveillance. Dans un État qui se militarise de plus en plus, l’expression de toute revendication devient suspecte, et l’agitation est combattue avec une violence mal maîtrisée. La réforme du Code pénal par la législature chiapanèque en 1990, qui redéfinit dans un sens beaucoup plus extensif le délit d’atteinte à l’ordre public et aggrave lourdement les peines encourues par ceux qui s’en rendent coupables, tend à légaliser des pratiques auxquelles l’ancien général Castellanos Dom ínguez, gouverneur du Chiapas de 1982 à 1988, a attaché son nom. A en juger par l’ampleur que l’agitation conserve, ces pratiques se révèlent peu efficaces. Il est vrai que si la répression s’abat durement sur les militants, elle paraît curieusement épargner les dirigeants, en particulier ceux dont le travail politique s’accomplit à l’ombre protectrice de la hiérarchie catholique.

D’autres mesures, enfin, qui sont censées promouvoir le développement économique et social mais qui ne stimulent pas l’activité productive, relèvent en réalité d’une simple politique d’assistance. Les sommes qu’elles mettent en jeu n’en sont pas moins considérables. Bien que le calcul exact n’ait pas été fait, c’est en milliards de dollars que se compte l’argent répandu dans l’État avec une inconséquente prodigalité, d’abord par le Programme de développement économique et social du Chiapas (PRODESCH) de 1971 à 1976, puis à travers le Plan national des zones déprimées et des groupes marginalisés (COPLAMAR) entre 1977 et 1988, ensuite dans le cadre du Programme national de solidarité (PRONASOL) et du PROCAMPO à partir de 1989. Au cours des seules années 1992 et 1993, PRONASOL et PROCAMPO ont distribué 280 millions de dollars pour l’amélioration des conditions de vie, la création de petites infrastructures et le soutien à la production paysanne dans l’État. Loin d’avoir été abandonné à son sort, le Chiapas a fait l’objet de la plus gigantesque opération de charité publique qui ait jamais été montée. Que cette opération poursuivie avec une étonnante persévérance pendant un quart de siècle ait lamentablement échoué, c’est aujourd’hui patent. Cependant, la manne ne sera pas tombée du ciel en vain. L’EZLN est parvenue à en capter une part – part infime certes, mais néanmoins suffisante pour financer l’insurrection. »

Sauf indications contraires, toutes les statistiques économiques et démographiques sont extraites des recensements nationaux.

Concernant la situation actuelle au Chiapas, deux organismes a san Cristobal nous informent : le SIPAZ  avec des statistiques dur le Chiapas et un historique des conflits jusqu’a 2009

http://www.sipaz.org/fini_fra.htm

et le site du centre des droits de l’homme FrayBA (en anglais ou espagnol) qui repertorie les atteintes aux droits de l’homme au Chiapas et au Mexique, notamment de la part du gouvernement de Calderon.

http://www.frayba.org.mx/index.php?hl=en

Les témoignages me rapportent que les gens se sentent pris en sandwich entre la délinquance liée aux narco-trafiquants et les forces gouvernementales ou paramilitaires, que les conflits dans les communautés sont entretenus par le gouvernement (paysans payés pour détruire les récoltes d’autres paysans, disparitions forcées, pressions militaires, impunités, arrestations de personnes contestataires sous de faux motifs-narco trafiquants-…).

C’est dans ce contexte qu’a eu lieu la marche pour la paix le 7 mai dernier a San Cristobal de Las casas, où je vis ; qui a rassemblé plus de 20000 personnes en silence. Cette appel a été lancé par le poète Javier Sicilia, à la suite de l’assassinat de son fils, et soutenu par le sous commandant Marcos (chef zapatiste).

Dans le site internet d’espoir chiapas, on retrouve les derniers évenements (arrestations de défenseurs des droits de l’homme, assassinats de Bety et Jyri par les paramilitaires lors d’une caravane pacifiste,…).

Ci dessous, une interview radio depuis Toulouse de Gloria Munoz (travaille comme journaliste pour le quotidien mexicain La Jornada où elle écrit la chronique “Los de abajo”, a vécu et écrits sur les communqutés zapatistes).

Interview traduite en direct en français, 45 mn, très interressant.

http://radioexpressionlatine.com/2011/04/gloria-munoz-mexico-violencia-y-resitencia/

Ci dessous mes photos de la marche pour la pais le 7 mai dernier, sur la place de San Cristobal, après une impressionante arrivée de chaque communauté, en silence.

 

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